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En mars 1945, l’ensemble
des régiments parachutistes S.A.S. avait été confié au brigadier-général J.
M. Calvert. Le jeune général a l’allure d’un petit buffle combatif et
hargneux. Il rentre d’Extrême-Orient où, comme adjoint du général Wingate, il s’est
illustré dans les fantastiques combats à travers la jungle birmane.
Le Troisième Reich est à
toute extrémité. En dehors des états-majors militaires, l’opinion considère que
la guerre est finie. L’attention est davantage portée sur les intrigues
politiques qui se nouent que sur les mouvements des armées qui poursuivent
pourtant leur lutte acharnée contre un ennemi agonisant qui refuse l’évidence
et qui, dans bien des cas, choisit la mort à la défaite.
La LRD armée canadienne
poursuit en Hollande une progression lourde et meurtrière.
Le 28 mars au matin, le
général Belchem, brigadier de l’état-major général (opérations) du 21e groupe d’armées à Bruxelles, entre en contact avec le général Calvert.
Quarante-huit heures
plus tard, en Hollande libérée, une conférence réunit J. M. Calvert, le
colonel Beament de l’état-major de l’armée canadienne, le lieutenant-colonel
Derome représentant les forces spéciales auprès de l’armée canadienne.
L’entrevue porte sur l’éventualité
d’un parachutage de petits groupes de commandos derrière les lignes ennemies. Voici,
extraites du rapport secret du général Calvert, ses notes concernant la
préparation de l’opération qui devait prendre comme nom de code « Amherst » :
« Généralement
parlant la conception était la suivante : la LRD armée canadienne avait
comme mission dans l’ordre de priorité (d’après la note rectificative du 5 mars
1945) :
1) Ouvrir et assurer
pour son utilisation la route Arnhem-Zutphen.
2) Nettoyer le nord-est
de la Hollande.
3) Nettoyer le
nord-ouest de l’Allemagne jusqu’à la ligne de la Weser.
« Les 2e et 3e régiments de chasseurs parachutistes seraient parachutés sur
une zone comprise dans le triangle Groningen, Cœverden, Zwolle, environ
quarante-huit heures avant nos éléments terrestres de pointe, avec pour mission :
1) Causer le maximum de
confusion dans la région et ainsi empêcher l’ennemi de s’établir sur toutes
positions fixes.
2) S’emparer et empêcher
la destruction de ponts en neutralisant les charges de démolition, afin de
hâter la progression de nos forces terrestres.
3) S’emparer et garder l’aérodrome
de Steenwijk.
4) Soulever la
résistance dans la région.
« J’avais insisté
qu’autant que possible, il était essentiel qu’un commandant unique soit
responsable pour donner l’ordre d’exécution du parachutage. Cela étant donné l’expérience
précédente que j’avais eue lors de l’opération Gerrard en avant de la 2e armée ; trop de Q.G. étaient alors concernés, avec pour résultat que l’opération
n’eut jamais lieu. Le timing d’une telle opération est un problème
délicat et il est essentiel que quelqu’un sur le terrain puisse donner l’ordre
d’exécution, en liaison avec le commandant des troupes S.A.S. ou son représentant,
l’opération étant toujours sujette à annulation par le commandant de l’aviation,
compte tenu du temps ou autres circonstances.
« La décision de
lancer l’opération Amherst fut déléguée au commandant du 2e corps
canadien. L’armée canadienne estimait que cette opération devrait être
déclenchée au plus tôt le 14 avril. De fait, il fut demandé qu’elle le soit
huit jours avant. Auparavant, j’avais ordonné la mise en état d’alerte
opérationnelle rapprochée de toutes les troupes S.A.S., de sorte qu’elles
soient disponibles dès notification.
Préparation.
« Après avoir
envoyé par radio les notifications nécessaires, je retournai par avion à mon Q.G.
dans l’Essex, et donnai un schéma du plan au colonel Prendergast, commandant
adjoint des Forces alliées. À l’armée canadienne, nous étions convenus d’une
deuxième conférence pour parfaire les détails. Le colonel Prendergast assista à
cette conférence. Une conférence se tint aussi au 38e groupe, et le
1er corps aéroporté britannique donna son approbation, le lieutenant-colonel
Collins, du 1er bureau (S.A.S.) du corps aéroporté, ayant été tout
le temps en consultation étroite. Les deux bataillons reçurent l’ordre de se
rassembler dans une zone pour s’équiper et recevoir les ordres, et pour
élaborer les plans détaillés de chaque stick (groupe). La difficulté pour
trouver des Z.L. (zones de largage) convenables posa quelques problèmes, mais
finalement les plans furent agréés au Q.G.S.A.S. le 4 avril. Après avoir vu le
colonel Prendergast à son retour, je partis moi-même pour la Hollande afin de
mettre au point le parachutage. Je me hâtais, car nous étions informés que les
éléments avancés de l’armée canadienne avaient déjà atteint Cœverden et, ce
faisant, certaines de nos Z.L. Je me rendis au 2e corps canadien et
fus très bien reçu par le chef d’état-major et le commandant du corps. La date
du déclenchement, de l’opération fut arrêtée.
La Résistance.
« De bout en bout
je travaillai dans la plus étroite coopération avec le lieutenant-colonel Derome,
représentant des Forces spéciales auprès de l’armée canadienne. Il était aussi
important pour lui que pour nous, en raison du problème posé par le soulèvement
de la Résistance, que l’opération ne soit pas prématurée. Il demanda aussi un
certain délai afin de prévenir le personnel concerné. L’implantation des maquis
dans la région ne paraissait pas très importante, car jamais celle-ci n’avait
été considérée comme une très bonne région pour organiser la Résistance.
Considérations « Air ».
« Il peut être de
quelque valeur de noter comment les considérations « Air »
affectèrent nos plans du point de vue S.A.S. La considération première était
que les conditions météo pourraient rendre l’annulation nécessaire et qu’en
conséquence une décision serait à prendre quant au report ou non de l’opération
pour la nuit suivante. Une annulation de cette sorte pourrait laisser dans le
désarroi la Résistance – aspect dont il faut toujours tenir compte.
« Deuxièmement, les
problèmes concernant le plan de vol incluaient le parachutage de jeeps. On
projetait de larguer 18 jeeps sur certaines Z. L., environ une heure après le
parachutage des éléments de pointe. Malheureusement, l’entraînement des hommes
à sauter des avions transportant en même temps des jeeps armées, n’avait jamais
été pratiqué. En outre, compte tenu de la mauvaise visibilité au cours de la
nuit de l’opération, la R.A.F. ne pouvait garantir une grande précision. Le
parachutage des jeeps dut donc être annulé. À l’avenir, et si d’autres expériences
sont faites, il n’y a aucune raison pour qu’il en soit nécessairement de même.
« Le troisième
facteur du plan de vol était de savoir s’il pouvait s’effectuer ou non
au-dessus de nos propres lignes. L’armée canadienne étudia le problème avec
soin et ordonna silence à la D.C.A. sur toute la région et, condition
indispensable, l’obtint au-dessus des zones du 21e groupe d’armées. Le
38e groupe craignait plus notre propre D.C.A. que celle de l’ennemi,
mais cette précaution fut à 100 p. 100 un succès et aucun tir de D. C. A
ne fut rencontré.
« Du fait de l’avance
rapide sur Cœverden, des Z. L. furent atteintes, ou se trouvaient trop près de
nos lignes, pour être efficaces. Il en découla des changements de dernière
minute dans les Z. L., ce qui signifiait un briefing de dernière minute pour
les pilotes et des réaménagements spéciaux pour le contrôle radar. En outre, un
peu avant la mise sur pied de l’opération, les positions de contrôle radar sur
le front de l’armée canadienne durent être déplacées à cause du changement dans
la situation de nos armées de terre. Cela eut pour résultat qu’on ne put disposer
seulement que d’une intersection très étroite du faisceau radar, avec pour
conséquence une marge plus grande d’erreur qu’il n’avait été estimé à l’origine.
C’est probablement la raison principale des erreurs de largage qui s’ensuivirent.
Communications.
« La procédure des
transmissions conçue à l’origine pour cette opération était la suivante : tous
les sticks, 55 en tout, transportaient des petits postes récepteurs, chacun
avec un code séparé, par le canal duquel ils pouvaient recevoir des ordres de
la B. B. C. Le temps d’émission était limité à quatre heures par jour, avec
pour conséquence l’impossibilité de passer 55 messages séparés en ce laps de
temps. De ce fait, les communications aux troupes en campagne ne furent pas
satisfaisantes. Il n’y avait pas de code général par lequel on pouvait communiquer
rapidement avec elles toutes. Cela était dû à une application trop stricte des
règles de sécurité. Or, dans une opération de cette nature, il est absolument
impossible pour l’ennemi, dans le temps limité imparti, de faire plein usage de
tout renseignement que nous envoyons et il devrait être possible de concevoir
un code plus facile et plus simple que gradés et hommes pourraient utiliser.
« Chaque bataillon
transportait 4 postes émetteurs. Ils devaient opérer avec le Q.G.S.A.S. dans l’Essex,
qui transmettrait le message à l’armée canadienne par la voie la plus rapide possible,
soit par liaison directe Phantom ou par télétype. En outre, des postes
étaient aussi installés à l’armée canadienne pour intercepter ces messages à
mesure qu’ils étaient retransmis par le Q.G.S.A.S. aux postes en campagne. Nous
ignorions à l’époque comment cela pourrait bien fonctionner. Heureusement tout
a très bien marché, et le P. G. tactique S.A.S. à l’armée canadienne put
obtenir très vite des renseignements des troupes en campagne.
« J’avais décidé, avec
son approbation, d’attacher un petit P.C. tactique à l’armée canadienne. Elle
nous aida grandement en nous donnant toute assistance en matière d’opérateurs radios,
etc., bien que nous ayons fourni quelques-uns de nos propres postes et
opérateurs. Habituellement, dans des opérations de cette sorte, la critique
principale formulée par les troupes derrière les lignes ennemies est que les
renseignements qu’elles transmettent ne sont pas utilisés, par suite du temps
mis à les transmettre ; par conséquent, la méthode employée dans ce cas
est digne d’être notée ; elle fut, je pense, aussi proche de la réussite
complète qu’il était possible, une fois surmontées les quelques difficultés
initiales. Des messages du front transmis en retour de la Grande-Bretagne
furent interceptés par les postes Phantom à l’armée canadienne. Ces
messages étaient en français et, après décodage, furent traduits et distribués
par les voies normales de l’armée canadienne, c’est-à-dire par le Watchkeeper (service de veille) et le service de renseignements opérations,
qui décidèrent de la distribution nécessaire, par exemple au 1er bureau (Air), 2e corps canadien, etc. Il s’ensuivit une très rapide
répartition des renseignements à quiconque était le plus concerné par les
organes ordinaires de l’armée canadienne.
« J’aimerais
exprimer ici mes félicitations pour la patience dont firent preuve le colonel
Beament, chef des transmissions d’Armée, le Signal Master, et d’autres
concernés au cours de nos ennuis initiaux imputables à l’utilisation d’une
procédure transmissions n’étant pas conçue pour ce type d’opération particulière,
et pour l’aide qu’ils ont accordée à mon officier des transmissions, le
commandant Radmore, en l’assistant à installer les communications radio sur une
base efficace.
Mouvement des troupes
terrestres.
« Comme je l’ai
noté le 30 mars dans mon appréciation, l’armée canadienne ne prévoyait aucune
nécessité de lancer l’opération avant le 14 avril au plus tôt. Toutefois, après
la percée à Emmerich, la 4e division blindée canadienne avança rapidement
sur Cœverden et reçut pour tâche d’avancer le long de l’axe vers Oldenburg. La
division blindée polonaise avançait alors vers le nord, mais fut plus tard
détournée sur l’axe de Papenburg. De Cœverden le long de la ligne du canal, Almelo,
Goor et Zutphen, la résistance allemande se durcit, et la 3e division
canadienne avait des difficultés à progresser à cause de l’opposition et des
ponts détruits. Le 2e corps canadien avait, à mon avis, une
opération des plus difficiles à accomplir en ce sens qu’il traversa le Rhin à
Emmerich et ensuite avait à avancer en trois directions : 1° Nord-Est. 2°
Nord. 3 Ouest.
Le démêlage de ces
différents axes divisionnaires de progression a dû être des plus difficiles. La
division polonaise fut retardée de douze heures, compte tenu du fait qu’un pont
sur lequel elle devait traverser le Rhin avait été enlevé par la 2e armée.
« On espérait
nettoyer l’espace entre Almelo et la rivière Ijssel, de sorte que ces divisions
puissent progresser le long d’axes séparés, mais la résistance ennemie sur la
ligne précédemment mentionnée gêna cette progression, et je pense avoir raison
en disant que cela causa du retard dans la jonction de l’opération Amherst. Quand
je vis le commandant du corps, le 5 avril je m’aperçus que 2 escadrons du 18e régiment d’automitrailleuses avaient déjà commencé à bondir vers Zwolle. Le
commandant du corps et son chef d’état-major m’informèrent que la 4e division blindée canadienne progressait maintenant vers le nord-est et, bien qu’il
apparût sur la carte que le corps canadien était en position de foncer à
travers le nord-est de la Hollande, cela n’était pas encore immédiatement
possible. Ayant en vue ce que je pensais être la nature fluide de la bataille, je
donnai mon accord pour allonger la période maximale où se ferait la jonction, à
96 heures plutôt que 72. Le 8 avril, des messages furent envoyés annonçant que
Amherst aurait lieu la nuit du 8/9 avril selon les conditions météo.
Plan de couverture.
« Mon intention
générale était de bluffer et d’exagérer dans l’esprit du commandement allemand
l’importance de cette opération, ceci dans un triple but. Premièrement, afin d’accroître
la confusion dans son esprit sur la nature de l’opération. Deuxièmement, parce
que j’avais l’impression, probablement erronée, qu’à ce stade de la guerre, si
l’on pouvait donner une excuse suffisante aux officiers supérieurs et
subalternes de se rendre, ils saisiraient cette opportunité, avec le sentiment
de l’honneur sauf. Troisièmement, j’espérais que si cela ne réussissait pas
avec le commandement local, il pouvait se faire, du fait des mauvaises communications,
que cela influence des officiers d’autres régions qui prendraient alors de
fausses dispositions. La méthode par laquelle cette feinte devait être exécutée
était la suivante : a) Larguer d’avion des simulateurs. J’avais été averti
que lors de la campagne de Normandie, les Allemands ne s’y étaient pas laissé
prendre. J’étais aussi au courant de rapports disant le contraire. Je comptais
que, que1 que soit le cas, cela ne ferait qu’ajouter à la confusion, car j’imaginais
le cas d’un officier subalterne téléphonant à son commandant d’unité, en lui
rendant compte que des parachutistes avaient atterri près de son P.C. et qu’ils
l’attaquaient. Le commandant d’unité qui, entre-temps, aurait pu recevoir des
renseignements sur le parachutage de simulateurs, pourrait lui répondre que c’était
un non-sens, qu’il ne fallait pas qu’il se laisse abuser, que c’étaient
seulement des mannequins, et ainsi, il ne prendrait pas les mesures appropriées.
En tout cas, cela donnerait probablement le temps aux Français de s’organiser
avant que les Allemands ne réalisent toute l’étendue et la portée de l’opération.
Des rapports de prisonniers disaient, en effet, que la plus grande confusion
régnait et qu’ordres et contrordres se succédaient. b) Il fut demandé au Bomber Command et au 100e groupe de passer cette nuit-là à l’action
dans les régions proches de la zone de parachutage, comme ils l’auraient fait
pour un débarquement aéroporté normal. Le Bomber Command et le 100e groupe effectuèrent, si j’ai bien compris, cette action, mais sans en connaître
les détails. c) La B.B.C. et la presse devaient annoncer que des parachutages
avaient eu lieu en Hollande du Nord.
Des mesures étaient déjà
prises pour que cela soit exécuté, lorsque l’armée canadienne envoya un message
au G.Q.G.S.A.S. à Halstead, faisant savoir qu’elle n’approuvait pas cette
partie du plan, car elle avait le sentiment que ce serait donner une occasion à
la propagande allemande de dire que de tels parachutages avaient échoué. Malheureusement,
ce message parvint au Q.G. le jour de mon départ pour l’armée canadienne, avec
pour conséquence que je n’en pris pas connaissance et que je n’annulai pas les
arrangements antérieurs. Aussi suis-je à blâmer pour la publicité qui en
résulta, laquelle allait à l’encontre des souhaits de l’armée canadienne. Toutefois,
je ne pense pas que cela causa quelque préjudice d’importance, et cela peut
avoir été très profitable pour obliger le commandement allemand à prendre de
fausses dispositions. »